#IFJBlog- Intelligence artificielle : « Un humain doit être responsable de chaque article publié »

La récente convention collective conclue entre le quotidien français Le Monde et les syndicats de journalistes sur l'utilisation par les GAFAM d'œuvres journalistiques, y compris Open AI, et l'octroi aux journalistes de 25 % des sommes perçues est considérée par les affiliés français de la FIJ comme une nette victoire. Mais il reste encore beaucoup à faire dans le monde entier pour garantir l'emploi et la rémunération des journalistes dans le contexte en constante évolution de l'intelligence artificielle (IA). Tim Dawson est le Secrétaire général adjoint de la FIJ et assure le suivi du groupe de travail de la FIJ sur l'intelligence artificielle. Il interviendra le 12 juin lors de la conférence de TADAM* sur l'intelligence artificielle pour faire entendre la voix des journalistes dans le débat actuel sur l'IA. Il nous fait part de ses craintes et de ses espoirs concernant les progrès de l'IA dans le journalisme.

Un journaliste regarde une vidéo d'introduction de l'intelligence artificielle Fedha sur le compte twitter de Kuwait News service, à Koweït City, le 9 avril 2023. (Photo YASSER AL-ZAYYAT / AFP)

1. Selon vous, comment les journalistes peuvent-ils bénéficier des derniers développements de l'IA ?

L'IA a la capacité d'accélérer et d'améliorer de nombreuses tâches, qu'il s'agisse de l'anayse de données, de rédaction de requêtes formelles, de traduction ou de recherches complexes. Elle sera probablement utilisée pour adapter des articles à d'autres marchés, dans des styles d'écriture ou des langues différentes. Elle pourrait permettre d'effectuer des recherches de routine, comme on le ferait en faisant du porte-à-porte. Des expériences ont été menées avec des présentateurs de journaux télévisés générés par l'IA. Seront-elles enterinées ? Je n'en suis pas sûr. Toutes ces technologies ont en tout cas le potentiel d'apporter plus d'efficacité au travail journalistique. 

2. Quels sont les métiers du secteur des médias les plus menacés actuellement ?

Il reste à savoir comment l'IA affectera les emplois. L'IA a été décrite comme l'assistant le plus utile qu'un journaliste puisse avoir, et ce sont probablement les rôles qui sont secondaires par rapport à la collecte d'informations primaire qui sont les plus menacés. Les secrétaires de rédaction perdent leur emploi depuis de nombreuses années, et je crains que cette tendance ne se poursuive, à l'instar de celles et ceux dont les tâches consistent à adapter les contenus pour des usages secondaires. L'IA est capable de produire des graphiques - jamais aussi bons que ceux créés par de vrais illustrateurs, mais je suis sûr que certains éditeurs seront tentés d'utiliser des machines à leur place. L'IA est également un outil puissant dans le domaine du montage vidéo et audio, ce qui pourrait permettre de réduire le nombre de personnes nécessaires à la création de programmes de diffusion complets.

3. Comment les syndicats peuvent-ils répondre au mieux aux menaces que fait planer l’IA sur certains emplois ?

Il est essentiel que les syndicats soient impliqués dans les détails pratiques de la manière dont l'IA est déployée par les journalistes. Ils doivent veiller à ce que les économies, lorsqu'elles sont réalisées, soient utilisées pour améliorer le journalisme, et pas seulement pour réduire les coûts. Il est tout aussi important de conserver la responsabilité humaine de l'ensemble du travail éditorial et de veiller à ce que des garanties soient mises en place pour préserver l'intégrité des informations. Dans l'ensemble, les accords entre les travailleurs et leurs employeurs sont sans doute la voie la plus rapide, la plus efficace et la plus efficace pour réglementer ces questions.

4.L'une des principales préoccupations des rédactions est la nécessité d'authentifier le contenu. Comment voyez-vous évoluer cette thématique ?

Tout organe de presse responsable devrait insister sur le fait qu'un auteur humain doit assumer la responsabilité de chaque contenu produit. La manière dont l'IA sera réglementée reste à voir, même si les derniers développements au sein de l'UE permettent d'espérer que les effets les plus négatifs de l'IA pourront être limités par des réglementations.

5. Considérez-vous l'accord SAG-AFTRA (Screen Actors Guild - American Federation of Television and Radio Artists) conclu en décembre 2023 sur l'utilisation des contenus cinématographiques par l'IA comme une avancée positive et une voie d'avenir pour les syndicats ?

Les 118 jours de grève des membres de la SAG AFTRA l'année dernière ont constitué la première grande revendication des créateurs pour une part équitable de tout ce que l'IA pourrait façonner à partir de leur matière première. L'accord qu'ils ont conclu pourrait servir de cadre à des négociations similaires pour les générations à venir. Il est évident que dans un avenir proche, si ce n'est déjà fait, l'IA tirera des enseignements de scènes de films déjà tournées et recréera les mêmes personnages qui feront des choses différentes ou prononceront d'autres mots. Elle ne pourra pas le faire sans la matière première fournie par les acteurs originaux, mais elle sera capable de reproduire leur travail. Il en va de même dans tous les domaines de la création, qu'il s'agisse de mots, de musique ou d'images.

Si les créateurs cèdent leurs droits sur la matière première dont dépendent leurs nouvelles créations, leur capacité à gagner leur vie sera gravement compromise.

6. De nouveaux « partenariats stratégiques » ont été établis entre le Financial Times, Associated Press, Axel Springer ou Le Monde et Open AI de Microsoft. Comment s'assurer que les syndicats de journalistes seront impliqués dans les futures négociations ?

Les entreprises de médias ont allégué à juste titre une violation des droits d'auteur en raison de l'utilisation de leur contenu pour former les logiciels d'intelligence artificielle. Mais ces contenus appartiennent également aux journalistes. Les journalistes possèdent des droits d'auteur sur les œuvres qu'ils produisent, peuvent s'opposer à toute modification importante de leur travail et réclamer une rémunération pour la réutilisation ou la vente de leur travail à des entités tierces. C'est exactement ce qui est en jeu ici. Le dernier accord signé en France par nos affiliés et Le Monde et accordant aux journalistes 25% du montant versé par les GAFAM au quotidien national, y compris les sommes reçues dans le cadre de l'accord Open AI, va dans la bonne direction et j'espère qu'il servira d'exemple aux syndicats de journalistes à travers le monde.

Les syndicats devraient exiger leur propre siège à la table des négociations avec Microsoft et les autres géants de la technologie. Les groupes du secteur serviront inévitablement leurs propres intérêts. Nous avons constaté à maintes reprises que les meilleurs défenseurs du journalisme sont les journalistes eux-mêmes.

La semaine prochaine, la FIJ organisera à Londres une table ronde sur le rôle des syndicats de journalistes dans la résolution des problèmes liés à l'intelligence artificielle, réunissant des dirigeants du secteur du journalisme du monde entier. Nous espérons y adopter une déclaration pour définir notre position et motiver nos affiliés à négocier au nom de leurs membres la manière dont l'IA est déployée, et à sont versés les bénéfices. 

*Tadamest un projet financé par l'UE qui s'intéresse aux défis, aux meilleures pratiques et aux ressources éducatives en matière d'intelligence artificielle et de médias.