Harcèlement en ligne: "Les journalistes signalent moins les abus en ligne parce que cela arrive tout le temps", juriste, Charlotte Michils

Charlotte Michils est juriste à l'Association flamande des journalistes/Vlaamse Vereniging van Journalisten (Belgique), la partie flamande de l'Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique (AGJPB). Son syndicat a lancé la plateforme d'assistance Meldpunt afin de collecter et d'enregistrer tous les cas de harcèlement et d'attaques contre les journalistes de langue flamande.

FIJ : Maintenant que Meldpunt est mis en place, que fait votre syndicat pour contrer le harcèlement en ligne ?  

Nous avons créé cette plateforme il y a quelques années. Notre objectif était d'enregistrer toutes les plaintes et tous les incidents possibles d'agression contre des journalistes - que ce soit en ligne ou hors ligne.  Nous nous sommes inspiré.e.s de la plateforme du Conseil de l'Europe pour la sécurité des journalistes, qui est également le format que nous utilisons sur notre site web. Il s'agit d'un très bon outil pour rendre visibles les incidents contre les journalistes et inciter ces dernier.e.s à signaler tous les incidents possibles à leur encontre. Bien sûr, c'est une tâche bureaucratique et peu de journalistes sont prêt.e.s à signaler des incidents, à moins qu'ils ne soient vraiment importants et qu'il faille vraiment faire quelque chose. Nous gérons également un forum spécifique, mais nous ne leur demandons pas de l'utiliser s'il.elle.s ne le souhaitent pas. Les journalistes peuvent aussi nous appeler. Les procédures ou les formalités ne sont pas du tout fastidieuses, mais c'est un moyen de leur indiquer les informations dont nous avons besoin pour pouvoir traiter les plaintes. Plus nous avons d'informations, plus la réponse peut être efficace. Bien sûr, ce n'est pas toujours possible si vous êtes intimidé.e.s par des comptes anonymes, mais nous essayons d'aider la personne qui fait le signalement aussi efficacement que possible. Nous soumettons également certaines des plaintes à d'autres acteur.rice.s tels que les Fédérations internationale/européenne de journalistes ou ECPMF ou la Plateforme du Conseil de l'Europe. Nous essayons également de publier un rapport au moins une fois par an pour rendre les problèmes plus visibles. 

FIJ : Les premiers résultats de votre plateforme pour 2022 montrent que les incidents se produisent davantage sur le terrain qu'en ligne. Recevez-vous beaucoup de plaintes pour cyber harcèlement ?

Les journalistes qui sont plus visibles, comme ceux et celles qui apparaissent à l'écran, ou ceux et celles qui sont très actif.ve.s en ligne sont plus susceptibles de recevoir des abus en ligne. Cependant, moins de personnes ont tendance à signaler ce genre d'incident car ils se produisent tout le temps. Certain.e.s journalistes sont plus vulnérables au harcèlement en ligne, comme les personnes racisées, les femmes ou les personnes qui traitent de sujets très sensibles. La question est toujours de savoir si cela vaut la peine d'être signalé. Nous avons eu un cas très significatif, celui de la journaliste Samira Attilah. Elle a beaucoup parlé de sa situation en ligne, elle a été harcelée, intimidée en ligne et hors ligne pendant de nombreuses années. Il n'existe aucun protocole dans son média pour répondre à ce genre de situation difficile, car il s'agit aussi de trolling, de campagnes orchestrées par des comptes anonymes. Comment gérer cela efficacement ? Elle a également reçu des appels téléphoniques de voix de robots. Elle a rempli plusieurs plaintes auprès de la police, elle a un très bon avocat, nous l'avons soutenue, son rédacteur en chef était derrière elle. Mais le problème est qu'elle reste vulnérable. 

FIJ : Quel type de soutien les plaignant.e.s reçoivent-il.elle.s ?

Un.e journaliste reste toujours propriétaire de la plainte et peut décider de ce qui doit être fait.  Nous ne nous emparons pas de cette plainte et la traitons de manière autonome.  Nous faisons campagne pour un meilleur cadre juridique pour traiter ces plaintes, nous en déposons auprès de la police. Nous évaluons la situation, nous essayons de la traiter de la meilleure façon possible. Une réponse juridique est toujours possible, mais si vous ne savez pas qui est derrière les attaques, c'est très difficile. Nous fournissons également des informations aux journalistes. Nous avons publié une brochure.

FIJ : Pensez-vous que l'attitude de la police vis-à-vis du cyber harcèlement a changé ces dernières années ? 

Pas tant que ça. Ce n'est pas une mauvaise chose, c'est juste que le problème est partout, il.elle.s ne savent pas par où commencer. Une grande partie du harcèlement se fait de manière anonyme. On ne peut pas reprocher à la police de ne pas agir alors que beaucoup de paramètres ne sont pas clairs. L'une des choses qui est sur la table au niveau ministériel est de punir plus sévèrement les contrevenant.e.s. Ce serait un progrès.

FIJ : En tant que conseillère juridique, pensez-vous que le cadre légal belge est suffisant pour faire face au harcèlement en ligne ?

Non, nous devons l'affiner, notamment le code pénal. Au niveau européen, le DSA - Digital Services Act - traite des discours de haine en ligne. L'incitation à la violence est déjà un cas juridique. Mais en même temps, il semble très difficile de condamner quelqu'un. Nous devons affiner la loi et trouver un moyen plus efficace de traiter les plaintes. 

FIJ : Les médias flamands ont-ils adopté des directives ou des protocoles internes pour faire face au harcèlement en ligne ? 

Non. Ce que nous entendons de la part des journalistes, c'est que les médias réagissent au cas par cas mais qu'ils n'ont pas adopté un cadre systématique.

FIJ : L'affaire Samira Attilah a vraiment été un élément déclencheur qui a créé une dynamique ? 

Oui. Et je suppose que vous comprenez aussi pourquoi. Il y a beaucoup de recherches en Flandre sur les thèmes du harcèlement en ligne et c'est toujours le même scénario : très peu de journalistes se sentent enclins à parler de leurs problèmes en ligne, et s'il.elle.s le font, il.elle.s veulent rester anonymes et nous parlons simplement de participer à une recherche académique. Samira est prête à s'exprimer et c'est très utile, non seulement pour elle-même mais aussi pour ses collègues. Ce genre de cas crée un élan pour changer les choses, pour les mettre à l'ordre du jour. 

FIJ : Que pourrait faire la FIJ pour vous soutenir et, indirectement, les groupes de presse et les rédactions ?

La sensibilisation est importante, c'est un travail permanent. C'est une chose qui doit être répétée encore et encore. Documenter les cas.

FIJ : Avez-vous des outils ou des bonnes pratiques à recommander ? 

L'Association des journalistes professionnel.le.s (AJP), la partie francophone de notre association, a traité le cas de la journaliste Myriam Leroy (NDLR : Myriam Leroy a gagné au pénal) qui illustre qu'il n'y a pas toujours d'impunité dans les cas de harcèlement en ligne.

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