#IFJBlog: Gaza. La communauté internationale doit assumer ses responsabilités

Un an après le 7 octobre 2023, dans une tribune envoyée à plusieurs médias internationaux, dont l’Humanité (France), Le Courrier (Suisse)…, le Secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), Anthony Bellanger, déplore la paralysie des Nations Unies et dénonce le manque d’actions de la communauté internationale.

[Translate to French:] Credit: Mourners and colleagues holding 'press' signs surround the body of Al-Jazeera Arabic journalist Ismail al-Ghoul, killed along with his cameraman Rami al-Refee in an Israeli strike during their coverage of Gaza's Al-Shati refugee camp, on July 31, 2024. Al Jazeera condemned the killing of two of its journalists, calling the deaths a "cold-blooded assassination" in a statement. (Photo by Omar AL-QATTAA / AFP)

Depuis le 7 octobre 2023, la Palestine ne distingue que des nuances de noir.

En 12 mois, la Fédération internationale des journalistes (FIJ), organisation mondiale représentant 600.000 professionnels des médias répartis dans 150 pays, dénombre au moins 138 morts[1] depuis le début de la guerre à Gaza (128 Palestiniens) et ses conséquences au Liban (5), en Israël (4) et en Syrie (1). C’est le plus lourd bilan de l’histoire du journalisme.

A titre de comparaison, l’autre conflit majeur dans le monde entre l’Ukraine et la Russie, a tué 18 journalistes ukrainiens après 32 mois de conflit.

Les enquêtes de la FIJ, avec l’aide de son affilié palestinien, le Palestinian Journalists Syndicate (PJS), ont pu démontrer clairement qu’un grand nombre de ces victimes avaient été ciblées par l’armée israélienne, que l’organisation mondiale a pourtant appelée à respecter le droit international en octobre 2023.

Cette guerre à Gaza, qui s’est étendue désormais au Liban, est la volonté du gouvernement d’un seul homme, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qui piétine toutes les conventions internationales et se permet même de venir le 27 septembre vanter ses actions militaires sur les civils à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, au prétexte de combattre le terrorisme. Pourtant, depuis les conflits américains en Irak et en Afghanistan, tous les rapports ont montré que la guerre aveugle et les frappes arbitraires contre le terrorisme sont inefficaces; au contraire, elles renforcent les idéologies radicales et amplifient les actions des mouvements combattus. Sans compter que toutes ces attaques aveugles contre les civils fabriquent au minimum deux générations de haine et de ressentiments contre leurs agresseurs et leurs descendants.

Depuis octobre 2023, la FIJ a multiplié les appels aux Nations Unies : pour que soit signé un cessez-le-feu afin de permettre aux populations civiles de quitter la bande de Gaza, territoire d’environ 365 km2, soit un tiers de la surface de Paris; pour que l’aide humanitaire et logistique soit acheminée au plus près des populations, y compris du matériel de protection pour les journalistes; et pour que les journalistes et travailleurs des médias étrangers puissent entrer dans l’enclave afin de documenter la guerre.

Rien ne s’est passé. Le gouvernement Netanyahou reste sourd et aveugle, malgré les actions incessantes du Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres.

Au contraire, Israël a ordonné la poursuite des frappes de son armée, financée essentiellement par les Etats-Unis (68%) et l’Allemagne (30%).

Deshumanisation

Sur le plan de la couverture médiatique, après l’attaque meurtrière du 7 octobre perpétrée par le Hamas dans le sud d’Israël qui a fait plus de 1200 morts et 251 otages, la FIJ a enjoint aux journalistes du monde entier de respecter la vérité et de vérifier les faits, après la publication d’une des plus grandes “fake news” de ces dernières décennies sur les soit-disants bébés décapités.

Depuis, les débats font rage au sein des rédactions. Les uns craignant d’être taxés de pro-palestiniens; les autres d’être aux ordres de l’Etat hébreux.

La conséquence de ce professionnalisme à la petite semaine, sorte d’autocensure assumée, est une totale déshumanisation des populations palestiniennes qui n’ont personne ou presque, à part elles-mêmes, pour raconter le cauchemar quotidien qui est le leur. Lorsque les connexions internet sont autorisées ou en état de fonctionnement, seules les publications sur les plateformes des réseaux sociaux des journalistes gazaouis permettent au monde d’être informé. La grande majorité des médias du monde entier sont de fait coupés d’une réalité qui leur échappe et leurs seules sources disponibles sont les journalistes membres du PJS et de la FIJ, qui prennent tous les risques pour filmer et photographier avec leur téléphone. Ils sont les seuls à remplir leur mission d’informer sur le terrain, alors même qu’ils manquent de tout et de l’essentiel; le minimum vital se vend à prix d’or sur le marché noir.

Du côté israélien, la déshumanisation des civils palestiniens est orchestrée par les journalistes eux-mêmes. Dans une interview à l'AFP, l'une des journalistes israéliennes de Channel 14, Hallel Bitton-Rosen, a affirmé sans ambages que son travail se concentre sur « le soutien aux forces combattantes qui protègent le pays et les citoyens contre les terroristes vils qui ont perpétré le "terrible massacre"».

Autocensure ou propagande ?

Fort heureusement, de nombreux journalistes dignes de ce nom assument avec professionnalisme la mission qui est la leur et relaient le travail de leurs consoeurs et confrères de Gaza, tout en croisant leurs sources avec les communications officielles des deux belligérants.  

Centres de solidarité pour les médias

De leur côté, la Fédération internationale des journalistes avec ses syndicats membres ont levé plusieurs centaines de milliers d’euros pour les journalistes de Gaza via son Fonds de sécurité international et ont ouvert fin juillet un premier centre de solidarité pour les médias dans le sud de l’enclave, dans la région de Khan Younis. Même si aujourd’hui le nombre de centres s’élève à deux, avec l’aide notamment de l’Unesco, c’est peu, il faut bien l’admettre, mais c’est la condition sine qua non pour que les journalistes de la bande de Gaza poursuivent leur mission d’informer dans une sécurité relative.

A quelques jours du premier anniversaire du macabre 7 octobre, la guerre de Gaza sera certainement le conflit de trop pour les Nations Unies, comme la Seconde Guerre mondiale le fut pour la Société des Nations en 1946. Le Conseil de sécurité de l’ONU est totalement paralysé, sclérosé et impuissant face à un gouvernement israélien qui jouit d’une impunité scandaleuse.

Lorsque la poussière des décombres de Gaza sera retombée, les historiens des années 2030 jugeront sévèrement la communauté internationale, si on peut encore parler d’une communauté tant elle est divisée, et notamment les grandes “puissances” mondiales, en Occident et dans le Monde Arabe, qui au mieux ont publié des déclarations molles et déconnectées, au pire ont financé l’armement du gouvernement israélien. La communauté internationale doit assumer ses responsabilités. Maintenant.

Si la justice internationale remplit ses devoirs, les responsables d'Israël et du Hamas devraient être sur le banc des accusés avec des charges allant de crimes de guerre à crimes contre l’Humanité, mais de nombreux autres responsables politiques devront comparaître pour complicité de crimes.

A part nos consoeurs et nos confrères de la FIJ, on n’attend plus rien de personne, se lamentait, en septembre, un journaliste palestinien à Gaza. “Il y a eu tellement de morts que nous n’avons plus rien à perdre, même pas la vie. Si l’enfer existe, je pense que je le vis actuellement. C’est un vrai massacre. Vous pouvez difficilement l’imaginer.

 


[1] Chiffres actualisés au 1er octobre 2024